IBN DJUBAYR

IBN DJUBAYR
IBN DJUBAYR

IBN DJUBAYR (1145-1217)

Écrivain de l’Espagne andalouse, célèbre par son récit de voyage (Ri ムla ) en Orient, Ibn Djubayr, en même temps qu’un témoin de premier ordre, devait devenir l’initiateur d’un genre littéraire aux confins du récit pur, de la géographie et de l’histoire.

Né à Valence, Ibn Djubayr reçut l’instruction solide et classique que lui devait son appartenance, par son père, à la classe bourgeoise des fonctionnaires: sciences religieuses et littéraires, exercice de la poésie. Devenu fonctionnaire lui-même, à Grenade en l’occurrence, Ibn Djubayr, en 1183, entreprend le pèlerinage à La Mecque, qui devait être, en même temps qu’un des moments essentiels de sa vie, l’occasion d’une œuvre de premier plan.

Ceuta, la Sardaigne, la Sicile, la Crète, Alexandrie, le haut Nil, la mer Rouge, les lieux saints d’Arabie, l’Iraq, Bagdad, Mossoul, Alep, Damas, Acre, la Sicile, Carthagène et le retour à Grenade en 1185, telles sont les étapes du voyage. Il y en eut un deuxième, en Orient encore, en 1189-1191, puis un troisième, qui mena Ibn Djubayr à Alexandrie, où il devait enseigner et mourir.

C’est le premier de ces voyages qui donna lieu à la célèbre Ri ムla qui, dans la littérature géographique arabe, a un incontestable accent d’originalité: elle s’affirme, d’abord, comme un genre spécifiquement occidental, alors que, jusque-là, l’Occident de l’Islam avait suivi, en la matière, les traditions nées en Orient, plus spécialement en Iraq. Mais, d’autre part et surtout, elle substitue le constat du vécu à la littérature théorique. Sans doute la géographie arabe avait-elle, chez quelques-uns de ses plus grands auteurs, pris pour base de sa méthode l’observation directe (‘iy n ) du monde, mais celle-ci restait toujours la servante d’une œuvre dont l’organisation la dépassait. Il s’agissait d’intégrer cette observation à une présentation ordonnée de ce monde, qu’il fût d’Islam ou étranger. Peindre le monde, oui, mais, avant tout, le répartir, expliquer comment il était fait. La peinture, comme toute peinture, prenait place dans un espace tracé d’avance. Ici, au contraire, nulle frontière n’est fixée au départ: c’est la peinture qui, chemin faisant, sécrète son espace propre, ne posant ses limites qu’a posteriori, sur le bord d’une expérience achevée.

Il ne s’agit plus de géographie au vrai sens du terme. Ou plutôt, la géographie n’est que seconde, ce qu’on pourrait dire tout aussi bien de l’histoire, de la peinture des mœurs, bref, de tout ce qui compose, chemin faisant, un récit. La géographie est celle que nous y trouvons, non pas celle que l’auteur a entendu écrire; pas plus que n’importe quelle autre discipline, elle ne constituait son but. À la limite, ce n’est pas le contenu même de l’œuvre qui est ici son propos, mais l’œuvre, l’œuvre seule, dans l’instant où elle s’écrit. Sans doute sommes-nous aujourd’hui habitués à ce genre d’écriture; mais il convient de souligner la nouveauté qu’elle revêt dans la littérature arabe de son temps.

La nouveauté vient donc de ce qu’on ne fixe pas à l’écriture d’autre règle que le récit. En d’autres termes, qu’à l’espace qui définit l’intention géographique on substitue le temps, qui est de l’ordre de l’histoire. Ou plutôt, que géographie et histoire se conjuguent pour enfermer l’espace et le temps dans le cadre du récit, jour après jour: ce qui revient à enlever à l’une et à l’autre cette vision large qui est la leur, au profit d’un espace et d’un temps clos. Le récit, né de cette double contrainte, tient finalement son unité de la présence d’une personne, celle de l’auteur, dont l’aventure est la raison de vivre et d’écrire: histoire et géographie, perçues dans l’éternelle mobilité de cette aventure, ne sont plus que des situations.

L’intérêt documentaire et littéraire de la Ri ムla est évident; tiré de l’œuvre même, mais réorganisé par le lecteur pour recomposer une vision, le tableau du monde visité, dans le cadre historique qui était le sien, est de premier ordre: on ne s’est pas fait faute de l’étudier. Mais, on le devine, cette exploitation scientifique, pour valable qu’elle soit, ne définit pas la valeur essentielle de la Ri ムla , celle d’un témoignage vécu, dans le déroulement d’un récit qui est, parce que suivant la vie pas à pas, drame au sens premier du terme: la peinture de la douane égyptienne, par exemple, intéresse l’historien au plus haut point, mais elle n’est pas totale si on ne la perçoit pas d’abord, avec Ibn Djubayr, dans le contexte des tracasseries subies. Subies et décrites, car les deux vont ensemble. C’est poser, pour finir, les problèmes du style: dans une œuvre comme la Ri ムla , on conviendra sans peine que le style trouve sa fin dans la peinture d’un témoignage et dans la participation du lecteur à l’aventure. La présence d’intentions littéraires n’a d’autre but que celui-là, et leur absence même peut être, elle aussi, intentionnelle, ne serait-ce, par exemple, que lorsqu’il y eut calme plat sur la mer, ou relations sans histoire entre l’auteur et ceux qu’il rencontra. Seules seraient jugées déplacées les grandiloquences d’une rhétorique obligée, ou d’une prose rimée de circonstance, pour des sujets traditionnellement tenus pour nobles. On devra pourtant se souvenir alors que, de cette personne qui a entrepris de se peindre (ou qui s’est laissé trahir) dans la Ri ムla , l’héritage culturel, comme pour chacun d’entre nous, constitue une composante essentielle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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